« Histoire de ma vie » ou le Chemin de la verité

 « Histoire de ma vie », roman de Fadhma Ath Mansour Amrouche

 

                Le chemin de la Vérité

 

 

« Je te salue, Fadhma, jeune femme de ma tribu. Pour nous, tu n’es pas morte ! On te lira dans les douars, on te liras dans les lycées, nous ferons tout pour qu’on te lise ! « , écrivait Kateb Yacine dans la préface de « Histoire de ma vie », roman merveilleusement tissé par Fadhma Ait Mansour Amrouche, première romancière algérienne d’expression française, disparue un certain 8 juillet 1967.

fhdhma.bmp

Une œuvre hautement autobiographique écrite par une dame au destin exceptionnel, mais surtout douloureux durant le mois d’août 1946 à Maxula-Radés en Tunisie. Combien sommes-nous à avoir lu l’histoire poignante de cette vieille femme au courage et à la pugnacité inénarrables. Dépositaire d’une tradition orale ancestrale, Fadhma Ait Mansour dont la vie se confond avec un florilège amère de privations, de drames et de pleurs a su préserver de l’oubli des chants berbères immémoriaux en passant le flambeau à ses enfants dont Jean et Taos, descendants d’une lignée de clairchantants.

Dès sa prime enfance, née présumée en 1882, Fadhma, fille de l’amour, devenue par un glissement sémantique, «  fille du péché  » en compagnie de sa mère Aini Ath Laârbi Ou-said originaire de Tizi Hibel , avait appris les rudiments de l’errance et des souffrances. Sa naissance augurait déjà de mauvais présages  » La nuit de ma naissance, ma mère était couchée seule, avec ses deux petits ; personne auprès d’elle pour l’assister ou pour lui porter secours : elle s’est délivrée seule, et coupa le cordon ombilical avec ses dents. Une seule vieille vint le lendemain avec un peu de nourriture « .

Esseulée et incapable de subvenir à ses besoins, Aïni décida de confier sa fille aux Sœurs blanches des Ouadhias. La petite fille fut soumise aux pires sévices.  » Mais je vois une image affreuse : celle d’une petite fille debout contre le mur d’un couloir : l’enfant est couverte de fange, vêtue d’une robe en toile de sac, une petite gamelle pleine d’excréments est pendue à son cou, elle pleure « . Auparavant, toute petite, Fadhma fut fouettée jusqu’au sang par les Sœurs blanches. Scandalisée par tant de sauvagerie, Aïni, reniée par les siens, ne tarda pas à retirer son enfant des mains indélicates des religieuses.

Fadhma se souvint aussi de cette scène terrible où elle fut jetée par un garnement dans une haie à cactus. La mère acculée par le désespoir tenta de noyer son enfant au fond de l’eau, qu’elle retira aussitôt. Ultime geste d’un amour maternel qui avait préféré se battre pour sa fille malgré les préjugés. Derechef, confrontée au regard intolérant d’une société traditionnelle, Aïni consentit encore un autre geste difficilement surmontable : envoyer sa fille à l’orphelinat de Taddart Oufella, devenu un cour normal en 1893.

Dans cet espace d’apprentissage fondé en 1882, en compagnie de ses camarades, Fadhma s’initiât à l’abcidariaus de la culture française et aux randonnés pédestres auprès de son ruisseau tenue au fond d’elle tel un petit secret, réminiscences de joies infantiles et insouciantes. Ces moments furent écourtées par la fermeture du cours normal de Taddart Oufella, malgré les efforts de Mme Malaval. Encore un saut dans l’inconnu attendit la petite Margueritte.  » Je partis la mort dans l’âme, car, bien que très jeune, l’adversité m’avait mûrie et je savais que j’aurais à souffrir, mais je n’ pouvais rien « .

Retour à la maison à Tizi Hibel, où la jeune Fadhma, malgré la tranquillité doucereuse avec sa mère et ses deux frères, continua de poser de lancinantes et angoissantes interrogations :  » Que vais-je faire ? jusqu’à quand pourrais-je rester dans cette maison ? « . Partagée à vivre entre un passé d’une âme en peine et la crainte de l’avenir, Fadhma, éternelle transplantée, fut aussi soumise à la difficile épreuve de quitter sa mère et ses frères.  » J‘avais moi-même bien pleuré mais je m’étais dit : il faut partir ! partir encore ! partir toujours ! tel a été mon lot depuis ma naissance, nulle part, je n’ai été chez moi « .

La providence céleste couplé à un rêve prémonitoire l’emmena à l’hôpital des Ait Menguellat, où elle passa plus de deux ans. «  Je me trouvais dans un ravin profond .(…) soudain je vis planer au dessus de ma tête un oiseau immense aux ailes déployées. Je le regardais tournoyer avec terreur. Je le vis enfin descendre des nues, s’approcher de moi et me soulever. J’ignore combien de temps je suis resté sur ses ailes ; il survola bien des villages, bien des rivières et me déposa enfin sur un plateau où se dressait l’hôpital de Michelet avec ses arcades. « .

Durant son séjour, le Père Carisson lui proposa d’être la bonne d’un administrateur-adjoint de Michelet. Révoltée et scandalisée, elle lui rétorqua dare dare : «  Je ne serais jamais la bonne de personne, surtout en pays kabyle « . Entre temps, Belkacen-Antoine d’Ighil Ali venait tenir compagnie avec le portier de l’hôpital. Il fut séduit par la saisissante beauté de Fadhma. Il demanda sa main au Père Baldit. L’alliance sacrée du mariage fut scellée le 24 août 1899.  » J’avais seize ans, le jeune homme dix-huit ans, nous n’avions pas de logis, pas d’argent, nous ne possédions que notre jeunesse et notre espérance. Et le bon Dieu fit le reste : un véritable miracle « . Bien que le miracle fut réalisé, les pérégrinations de Margueritte, baptisée ainsi lors de son mariage, ne sont qu’au début. La vie de la jeune mariée, une fois à l’intérieur de la maison familiale des Amrouche, à Ighil Ali, fut ponctuée de jalousies mesquines et de suspicion, envers celle qui a  » renié  » sa religion et  » voléIl faut vous lever avant la première prière , et ne revenir qu’à la nuit afin que personne au village puisse dire qu’il vous a vue aller chez les Roumis« , lui indiqua, Thaidelt, épouse de Hacène Ou Amrouche et grand mère de Belkacem.  » Belkacem à sa famille. Elle ne pouvait même pas exercer librement sa religion de chrétienne sans être épiée et mal considérée.  »

Ce à que Fadhma obéit à la lettre afin de ne pas susciter l’opprobre, la honte aux Amrouche. La vie devint insupportable et intenable dans ce guêpier familial. Ce qui amena l’époux à aller vers la Tunisie chercher du travail, suivie de Fadhma, où il occupa le poste au chemin de fer tunisien. De cette union sacrée sont nés beaucoup d’enfants, lesquels portaient à la fois un prénom français et l’autre musulman : Paul-Mohand, Henri- Achour, Jean-El Mouhoub, Louis-Seghir, Marie Louise-Taos, Noel-Saâdi et René-Malek.

L’installation dans un quartier populaire, même s’il a permis un tant soit peu de soulagement, ne fut pas synonyme de délivrance. La nostalgie du pays perdu refusa à Margueritte la paix de l’âme. Les Amrouche ont dû changer de logis plus d’une dizaine de fois en quelques années. » J’étais restée la Kabyle. Jamais malgré, les quarante ans passés en Tunisie…je n’ai pu me lier intimement ni avec les Français , ni avec les Arabes. Je suis restée l’éternelle exilée, celle qui ne s’est jamais sentie chez elle nulle part.« .

Fadhma est revenue vers 1953 à Ighil Ali avec son ami de route pour être confrontée à d’autres conditions douloureuses et blessantes. » Pour les Kabyles, nous étions les Roumis, des renégats. Pour l’armée française, nous étions des bicots comme les autres« . Malgré l’acharnement impitoyable du sort, six deuils successifs, Fadhma a su se frayer un chemin lumineux en gardant l’âme fraîche d’un enfant  » Je peux encore être utile à ma fille, et j’essaie de la consoler un peu. Je voudrais lui laisser plus de poèmes, de proverbes, de dictons« .

Elle a su et pu préserver de l’oubli des pans entiers de la culture orale kabyle, notamment des contes, des poèmes, des proverbes et des chants, un patrimoine qu’elle a d’ailleurs fait passer à ses enfants. » Ah, elle est si jolie la langue kabyle, combien poétique, harmonieuse, quand, on la connaît… les hommes de chez nous sont si endurants au malheur, si dociles à la volonté de Dieu, on ne les comprend vraiment que si on entre dans cette langue qui me fut un réconfort tout au long de mes exils  » Le travail remarquable de Taos et Jean, qui se sont attelées à les transcrire et à les traduire, a donné naissance à des œuvres magnifiques dont  » Chants berbères de Kabylie  » de Jean El Mouhoub, le poète, et  » Grain magique  » de Marie Louise- Taos, la cantatrice et l’écrivaine.

Aujourd’hui plus que jamais, la question de la réappropriation de la mémoire de Fadhma, et de ses enfants se posent de manière urgente. « Puisse l’Algérie libre ne plus prêter l’oreille aux diviseurs hypocrites qui voudraient faire de tout un tabou et de tout être un intouchable. Et qu’on ne vienne pas me dire : Fadhma était une chrétienne ! une vraie patrie se doit d’être jalouse de ses enfants, et d’abord de ceux qui, toujours exilé n’ont jamais cessé de vivre pour elle « , notait avec une subtile justesse Kateb Yacine dans la préface d’Histoire de ma vie. L’urgence est de briser le procès scandaleux des vigiles intolérants gardiens du temple de la morale, lesquels avaient impunément déclaré l’exclusion de ces trois exilés de leur  » patrie humaine « .

Consacrer les Amrouche au Panthéon de la mémoire est un devoir de mémoire et de conscience . Un acte de justice à rendre dans l’urgence pour exhumer cette mémoire exilée…

Hocine Lamriben

NB : Toutes les citations sont tirées du roman « Histoire de ma vie », de Fadhma Ait Mansour. Editions Bouchène 1990.

–  Article publié sur les colonnes du journal La Dépêche de Kabylie, en date du 8 juillet 2007

4 Commentaires

Classé dans Livres à lire...

4 réponses à “« Histoire de ma vie » ou le Chemin de la verité

  1. azul thanemirthe pour ce blogue magnifique et encore il est bienfait .

  2. sidane djema

    Après avoir lu l’histoire de ses grands, mesdames & messieurs, je suis resté complètement émue.
    Vraiment j’ai envie de pleuré car il y a que les escrocs qui peuvent vive tranquillement dans se pays,
    d’un million et demi de martyres

    vive a tous les martyres mort pour une cause de la dignité nationale et nom pas pour de l’argent comme certaines qui on falsifiée leur destin pour gagné plus que les autres?

    Chacun de nous va rendre les comptes au bon dieu
    vive l’Algérie des quatre coin est à l’ouest du nord au sud et vive les vais moudjahidines, et les vais nationalistes qui ne bradé pas se beaux pays cadeau du ciel.

  3. khaled

    je suis trés emue aprés avoir lu l’histoire de fadma ath mansour qui est de mon village.c’est une femme courageuse qui a souffert dans sa vie.vive l’algerie vive la kabylie.

  4. fouad irnatene

    un bon travail hocine. afudh iguerzan

Répondre à ADDA Annuler la réponse.